La méditation agit sur le cerveau

Par Guillaume Kac – 20 avril 2017 

Les régions de cerveau qui sont activées et influencées positivement par la méditation.

Antoine Lutz a mené les premières études scientifiques consacrées aux effets de la méditation sur l’activité cérébrale. Il nous explique comment cette pratique modifie non seulement le fonctionnement du cerveau mais aussi sa structure. Des résultats qui ouvrent des perspectives cliniques prometteuses, notamment dans le traitement de la douleur et de la dépression.

Stabilité de l’attention, résistance au stress, ouverture aux autres : les bienfaits de la méditation sont aujourd’hui largement connus. Cette pratique issue du bouddhisme est utilisée à l’hôpital pour le traitement des douleurs chroniques ou de la dépression, à l’école pour améliorer la concentration des élèves et par tout un chacun pour se sentir mieux dans sa vie. Mais comment la méditation agit-elle sur le cerveau ? C’est la question que se sont posée des chercheurs dans les années 1980. Pour tenter d’y répondre, ils ont rencontré le dalaï-lama, qui leur a réservé un accueil favorable. Cette rencontre à débouché sur la création, à Dharamsala en Inde, de l’institut Mind and Life (Esprit et Vie), qui a permis – et permet toujours – des échanges réguliers entre moines bouddhistes et scientifiques.

La méditation est un entraînement du cerveau

Les premières études scientifiques abouties sur la méditation et le cerveau datent seulement des années 2000, avec l’apparition des technologies d’imagerie cérébrale. Elles sont menées aux Etats-Unis par deux pionniers : Francisco Varela, neuroscientifique français d’origine chilienne, et Richard Davidson, directeur d’un laboratoire de neurosciences à l’université de Wisconsin. Antoine Lutz, qui vient de terminer sa thèse sur la conscience avec Francisco Varela, les rejoints en 2003. Il est chargé de réaliser des expériences sur des méditants « experts », c’est-à-dire ayant au moins 10 000 heures de pratique – durée qui équivaut à la retraite traditionnelle bouddhiste de trois ans. Grâce aux techniques d’imagerie, il compare l’activité cérébrale de méditants experts et novices. « Nous avons été les premiers à montrer que la méditation provoque des changements fonctionnels dans le cerveau, raconte Antoine Lutz. Elle induit une réorganisation de l’activité neuronale. » C’est ce qu’on appelle la neuroplasticité, c’est-à-dire la faculté du cerveau à être modifié – y compris dans sa structure – par l’expérience vécue. On peut l’observer, par exemple, chez un pianiste professionnel ou un chauffeur de taxi londonien : la région cérébrale qui contrôle le mouvement des doigts pour le premier ou la mémorisation des rues pour le second est plus développée que chez un sujet ordinaire. « On peut entraîner certaines région de notre cerveau comme on fait des exercices pour développer sa musculature, assure Antoine Lutz. La pratique régulière de la méditation a ainsi un effet physiologique sur le cerveau : cela se traduit par l’activation de certaines zones qui commandent notre attention, nos émotions, notre présence au monde et aux autres. »

Les principales formes de méditation

La méditation par attention focalisée. Elle vise à apprivoiser et à centrer l’esprit sur le moment présent tout en développant la vigilance.

La méditation de pleine conscience. Elle cultive une conscience plus neutre des émotions, des pensées et des sensations. L’objectif est de ne pas se laisser entraîner par elles en revenant en douceur à cette concentration détachée chaque fois que l’esprit vagabonde. C’est habituellement celle dont qu’il s’agit quand on parle de méditation.

La compassion et l’altruisme. Elle consiste à prendre conscience des besoins d’un autre que soi, qu’il soit un proche, un étranger ou un ennemi, et de ressentir un désir sincère de l’aider.

 

 

 

Les chercheurs ont observé qu’une séance de méditation était faite de cycles constitués par quatre phases : d’abord le vagabondage des pensées, puis une prise de conscience de la distraction, suivie par la réorientation de l’attention et le retour à la concentration. Grâce aux progrès de l’imagerie cérébrale, ils ont constaté que pour chacune de ces phases un réseau réseau cérébralréseau cérébralcérébralcérébral spécifique s’activait. Des expériences menées au laboratoire de l’université du Wisconsin ont montré que chez les méditants experts l’activité cérébrale dans les aires liées à l’attention était plus intense. D’autres expériences ont été menées chez des sujets avant et après une retraite de méditation de trois mois. « Nous avons montré que des exercices intensifs de méditation permettaient de soutenir l’attention et d’améliorer la vigilance cérébrale », poursuit Antoine Lutz.

 

 

La méditation ne modifie pas la douleur mais notre rapport à la douleur

 

Si la méditation permet d’améliorer les capacités attentionnelles, quel est son impact sur la douleur ? On sait que le rapport à la souffrance est au cœur de la spiritualité bouddhiste et que la méditation est une voie privilégiée pour accéder à un rapport pacifié au monde. Des expériences ont ainsi été menées sur des méditants expérimentés pour savoir si leur perception de la douleur était modifiée par leur pratique. Pour cela, les chercheurs ont utilisé un dispositif qui provoque par intermittence une brève douleur tandis qu’un scanner enregistre l’activation des aires cérébrales. Qu’ont observé les chercheurs ? Les méditants ressentent la douleur avec la même intensité que les novices. Ce qui diffère chez eux, c’est l’absence d’anticipation du stimulus douloureux, source d’anxiété et de stress chez les autres. Comme si la méditation permettait d’objectiver la sensation douloureuse et d’éviter ainsi de l’interpréter ou de la rejeter. Autre observation intéressante : les méditants s’habituent plus vite à la douleur. « Autrement dit, ajoute Antoine Lutz, la méditation ne modifie par la douleur, mais notre rapport à la douleur. »

 

 

Une réduction de 40% du risque de rechute après une dépression sévère

 

Ce résultat ouvre des perspectives cliniques prometteuses dans le domaine du traitement des douleurs chroniques, mais aussi dans celui du traitement de la dépression. La méditation permet ainsi aux patients déprimés de se détacher des pensées négatives et de la rumination, qui caractérisent cet état. Une équipe canadienne a montré que six mois de pratique de méditation de pleine conscience (associée à une thérapie cognitive) après un épisode de dépression sévère avait permis de réduire de 40% le risque de rechute chez des patients dépressifs. D’autres études encore se sont intéressées à la pratique de la compassion, forme la plus avancée de la méditation bouddhiste. Elles ont mis en évidence des oscillations de forte amplitude de l’activité électrique du cerveau dans une certaine bande de fréquence, signe d’une synchronisation importante de l’activité neuronale entre différentes aires du cerveau. Ce phénomène, qui n’a pas livré tous ses secrets, pourrait expliquer l’élargissement du champ de la conscience chez les méditants expérimentés.

 

 

La méditation n’agit pas seulement sur le cerveau mais sur le corps tout entier

 

Comme on l’a vu, la méditation induit non seulement des modifications des fonctions du cerveau mais aussi des modifications de sa structure. Grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), des chercheurs ont observé que le tissu cérébral du cortex préfontal gauche – impliqué dans le traitement de l’attention, de la perception et des sensations corporelles internes – s’épaississait chez les pratiquants assidus, au point de compenser chez certains la fonte de matière grise due au vieillissement. D’autres études, enfin, suggèrent que la méditation n’agit pas seulement sur le cerveau mais sur le corps tout entier. Elle pourrait ainsi atténuer les phénomènes inflammatoires et ralentir le vieillissement cellulaire.

 

Malgré son efficacité clinique, les mécanismes d’action de la méditation sont encore mal compris. Plusieurs laboratoires dans le monde essaient de les comprendre. C’est l’objet du projet de recherche ERC mené par Antoine Lutz au CRNL. Il vise à étudier les processus qui sous-tendent la pratique de la pleine conscience aux niveaux expérientiel, cognitif et neuronal. La méditation n’a pas encore livré tous ses secrets.

 

Les sciences contemplatives, un champ de recherche émergent

 Tous les deux ans depuis 2012, l’institut Mind & Life organise un symposium international où se retrouvent des chercheurs en neurosciences, en psychologie, en sciences cliniques, mais aussi en sciences humaines, en sciences de l’éducation et en philosophie, et bien sûr aussi des pratiquants, moines et laïcs, de la méditation. L’objectif de cette approche transdisciplinaire est de faire progresser la connaissance de l’esprit humain « en vue de réduire la souffrance et d’augmenter le bien-être ». Les neurosciences « contemplatives » constituent un axe essentiel de ce nouveau champ de recherche. Elles ont été popularisées en France par la collaboration du moine bouddhiste Matthieu Ricard et des neuroscientifiques Antoine Lutz et Richard Davidson.

 


« Rapprocher les recherches sur la méditation et sur l’hypnose »

 

 

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je cherche à établir des ponts entre l’hypnose et la méditation, deux approches mentales différentes mais qui se rejoignent sur certains objectifs, notamment la gestion de la douleur et du stress. Avec d’autres chercheurs nous mettons en place un cadre phénoménologique qui nous permettra de comparer les deux approches en faisant varier différentes dimensions de l’expérience.

 

 

Comment caractériser ces deux approches ?
La méditation de pleine conscience cherche à opérer un « décentrage cognitif », processus mental qui consiste à prendre conscience de ses pensées et de ses émotions, et de les mettre à distance pour s’ancrer dans le présent. Elle permet, par exemple, chez des sujets dépressifs d’éviter la rumination des idées négatives. L’hypnose, de son côté, repose sur le pouvoir de la suggestion. Elle consiste à utiliser la faculté de notre esprit à rendre les choses « réelles ». On parle alors d’état modifié de conscience. L’hypnose permet ainsi de réduire l’activité des zones corticales traitant la douleur et de suractiver les zones facilitant l’imagerie mentale. C’est ainsi qu’un sujet sous hypnose peut être opéré sans anesthésie profonde. N’étant plus informé de son mal et s’évadant dans l’imaginaire, il ne souffre plus.

Antoine Lutz, chargé de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL).
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